Cléopâtre :
Non,non, plus rien qu'à peine
Une femme dominée
Par une passion si pauvre comme la
fille de ferme qui trait la vache
Shakespeare,
Antoine et Cléopâtre
I
Jadis c'était le pire.
Quand je n'étais rien et l'autre tout
ombre tapie dans l'Ombre
grelottant de faim et de froid au fond
des oubliettes du château
où la Reine-Mère festoyait avec ses
préférés
pendant que le roi n'y était pas
cependant quand il y était ça ne
changeait strictement rien
car
il
était
aveugle sourd et muet.
Effectivement
s'il avait
même par hasard
sans y penser
pourquoi pas
l'essentiel n'est jamais où on le
pense
demandé
où est ma fille ?
son père désire la voir
son désir est ordre
son ordre est loi
sa loi incontournable
rien n'aurait plus
jamais été comme toujours
mais
aurait-il épousé
la Reine s'il l'avait pu?
Pitoyables adultes
qui ne sont pour la
plupart que d'apparences
errant dans l'oubli
de soi ce silence hanté
dans lequel sont
enfermés les enfants coupables
d'être toujours
entre les jambes des Reines-Mères
à les encombrer
irriter
mendier un sourire
un geste tendre
une parole
valorisante
s'accusant de
n'avoir su inspirer de l'amour à sa propre mère
c'est lire comme la
faute fut monstrueuse
puisque
impardonnable
quoi qu'on fasse
dise
encaisse.
Les enfants qui
naissent aujourd'hui l'ont échappé belle
à trente ans près
c'était de l'ordre du privé
ça passait sous
silence.
Quand bien même
ils ne sont guère respectés
ils existent
l'enfant a des
droits.
De tout temps
l'enfant était la propriété des parents ou adultes
qui avaient droit
de vie et de mort
s'en privaient pas
d'ailleurs.
II
Je suis fille d'une
reine-Mère et d'un roi de Paille
mais ce n'est pas
moi la princesse
c'est ma soeur
moi je suis le
monstre.
Le château de la
Reine-Mère est l'antre de l'antique lignée des Amatrides
aux jouissances
terrifiantes.
qui se reproduisent
sans homme
les choisissant
pour ça
les épousant parce
qu'ils n'en sont pas.
Dans cet immense
château sombre et humide bâti à même le néant et entouré de
rien
il y a si longtemps
que plus personne
ne s'en souvient
a eu lieu le
Traumatisme Absolu
une aïeule
plus ou moins
lointaine
a subi un
impensable
qui l'a
complètement dévastée.
Repose en paix
l'aïeule
tu n'auras pas
souffert en vain dans le silence éternel de ton infinie solitude
j'ai rompu l'un et
brisé l'autre.
Ce Traumatisme
Absolu a donné naissance à un héritage meurtrier et pervers
dont on s'acquitte
depuis de mères en filles
se refilant le bébé
comme on dit.
Ce bébé coincé
dans les entrailles du Traumatisme Absolu
cette impossibilité
à naître.
Le fait est qu'elle
m'a avortée en m'accouchant si bien que j'étais restée dedans
coincée dans
l'utérus
mais le pire
fut de découvrir
toutes ces filles de leurs mères
coincées
pareillement dedans
toute une lignée
d'Amatrides avortant comme d'autres accouchent.
C'était un utérus
qui ressemblait à rien qui puisse se dire avec les mots
mais toutes n'en
jouissaient pas.
Dans mon parcours
intérieur pour retrouver la sortie
j'en ai croisé qui
n'avaient pas de sang sur les mains ni de mort sur la conscience.
Ca n'était donc pas à chaque fois.
Ca n'était donc pas à chaque fois.
Ca pouvait même
sauter des générations
C'était question
du sujet.
III
Sortir du ventre
ne signifie pas
systématiquement naître
parfois
sortir du ventre
c'est juste devenir
une excroissance de ce ventre
un prolongement.
Etre une femme ne
signifie pas systématiquement être mère
ni même désirer
l'être.
Le désir de
maternité peut aussi bien être aimant que meurtrier
pensé
qu'impensable
parfois
les enfants ne
naissent
que parce que leurs
mères désirent les haïr.
Le désir de
maternité ne va pas de soi mais est en soi
déposé par sa
mère qui l'a reçu de la sienne
et ainsi de suite
se tisse ce savoir
de la mère de sa mère
jusqu'à la
première fille.
Ce désir de
maternité
se nourrit aussi du
souvenir du bonheur d'avoir été enfant
tendrement touchée
nourrie portée
entendue et
devinée.
Tous ces souvenirs
qui remonteront à la surface
et en force
pèseront sur le
désir d'en devenir une à son tour
ou pas.
Parce qu'il arrive
que
les souvenirs
racontent
ce qu'il en a coûté
d'être la fille de sa mère
ne se rappelant
qu'avec douleur et terreur
des mains sadiques
au regard voyeur
des paroles
humiliantes aux gestes dégradants
des portes derrière
lesquelles tout est permis.
Ce n'est pas dire
que les femmes qui
n'ont pas acquis ce savoir
par leur génitrice
l'ignorant
sont incapables de
devenir des bonnes mères
c'est juste que
ce que les autres
n'auront qu'à puiser en elles pour le retrouver avec joie
elles devront
l'inventer
pour savoir comment
en devenir une
il leur faudra
d'abord et en même temps l'être pour ce nourrisson en soi
qui pleure et hurle
sans que jamais
personne ne se demande pourquoi.
Tout à la fois
être la mère de son enfant
et la mère de
l'enfant qu'on n'a pas eu le droit d'être.
Contrairement à
l'opinion qui prévaut
dans la réalité
la plupart ne
répètent pas sur leurs enfants
qui n'ont besoin
que d'être là
pour que leurs
mères leur sourient.
Longtemps j'ai cru
qu'une bonne mère se méritait.
Depuis j'ai
compris.
Une bonne mère
n'est pas une mère parfaite
juste une mère
aimante.
Une femme ordinaire
qui n'a même pas
besoin de savoir lire et écrire
un bébé ne
s'apprend pas dans les livres
un bébé se devine
se rêve se ressent
se souvient.
Une femme comme on
en voit dans les squares
lovant
confortablement dans ses bras son tout-petit
qui sourit
parle
regarde
lorsqu'elle propose
biberon ou sein
sans s'irriter ni
s'affoler s'il ne se jette pas dessus alors qu'elle-même est prête
lui offrant le
temps dont il a besoin.
Une mère n'est
jamais seulement la mère d'un enfant
mais d'abord la
mère de son enfant
et de celui-là
uniquement
puisque chaque
enfant est individu à part entière
est autre.
Mais une femme peut
aussi éprouver envers son enfant le désir de le détruire
et en jouir chaque
fois qu'elle y parvient.
Il y a celles qui
appellent à l'aide
qu'on les éloigne
de leurs petits
qu'elles ne peuvent
s'interdire de torturer
pour un oui pour un
non.
C'est plus fort
qu'elles
mais de cette
jouissance elles n'éprouvent aucun plaisir.
IV
Et puis il y a les
Reines-Mères.
Ces femmes que ça
amuse d'acculer leurs enfants
au chaos et à la
détresse
qui
des sanglots dans
la voix
narrent
avec force détails
les yeux dans les
yeux
qu'il est tombé du
berceau
pour la énième
fois
et trop peu encore
pour s'en étonner.
Les Reines-Mères
sont
ça va de soi
des Reines-Pères
c'est pourquoi les
rois sont de paille
les pères aveugles
et sourds
les hommes
impuissants
comme on dit
l'habit ne fait pas
le moine
et le pénis ne
fait pas l'homme
ainsi
on a vu des pénis
qui appartenaient à maman
jusqu'à la mort
godes en chair et
en os sous les traits d'hommes de façade
ces pénis
éjaculent
c'est tout ce
qu'ils savent d'eux.
Les Reines-Mères
sentent d'instinct la faille en l'autre reniflant la proie
se métamorphosant
selon le besoin du moment
cependant
on peut toujours
débusquer une Reine-Mère
à ses yeux.
Ce regard si
pénétrant mais impénétrable
ce captivant regard
de pierre
observant par
derrière
se délectant
du trouble insinué
du déchirement
institué.
Ce regard qui ne
montre absolument rien
passant uniquement
par le ressenti.
Une Reine-Mère
en mots
ce qui s'en
rapprocherait le plus
tiendrait
du crotale déguisé
en être humain
de sexe féminin
s'il avait eu un
corps.
Il n'y a rien à
espérer d'un crotale
il ne peut ne pas..
Tout le monde
connaît l'histoire
il
était une fois un crotale faisant les cent pas au bord d'une
rivière, quand soudain il aperçoit une grenouille paressant au
soleil:
- TOI, oui toi,
porte-moi sur ton dos que je puisse traverser, j'ai un rendez-vous
qui ne saurait attendre
- Pas question répond
la grenouille je ne veux pas être piquée
- Ne sois pas stupide,
si je te pique je me noie aussi
Les voilà donc
traversant les courants, quand, un cri, la grenouille se retourne:
- Mais pourquoi?
Le crotale hausse les
épaules et réplique:
- C'est ma nature
Et ils coulent.
On ne
peut rien quand tout est matière à jouir
même sa propre
mort.
Les crotales sont
des cas cliniques
de la Grande
Pathologie
ce n'est pas donné
à tout le monde
on peut leur
reconnaître ça
n'est pas
Reine-Mère qui veut.
Quand une
reine-mère se fait prendre
tout le monde se
passionne et en redemande
les journaux
surenchérissent dans l'horreur
provoquant peur et
déroute
insinuant une
malsaine curiosité.
Mais nous les
enfants de ces reines-mères
nous
ne voulons pas voir nos familles traînées dans la boue
les
coupables montrés comme des monstres de foires
entendre
chacun y aller de son couplet
à qui
mieux-mieux
bannissant
de l'humanité ces dévastées
clouées
au piloris sur la place publique.
Nous avons trop
souffert d'être des monstres interdits d'humanité
pour le souhaiter à
quiconque
et nous sommes bien
placées pour savoir que les monstres n'existent pas.
Nous ne voulons pas
de vos peines à perpétuité
dans vos prisons insalubres
dans vos prisons insalubres
encore moins du
rétablissement de la peine de mort
nous ne réclamons
pas vengeance
nous demandons que
justice soit faite
la seule justice
possible
celle qui ramène à
l'humain
qui d'une dévastée
passée à l'acte
retrouve le sujet
en détresse au coeur même du chaos.
Nous ne demandons
pas une sanction
nous demandons que
les coupables et les victimes soient clairement désignés
et une peine
non pas de prison
mais de
non pas de prison
mais de
réparation.
La justice c'est
nommer et réparer
et si justice était
faite
vous seriez sur le
banc des accusés pour n'avoir jamais rien vu
rien entendu
rien remarqué.
Beaucoup d'entre
nous
lors des procès
relisent
attentivement les phrases prononcées
scrutant les photos
dans tous les sens
les retournent
les éloignent
les rapprochent
traquant quelque
chose qui les désignerait comme telles
visible à l'oeil
nu reconnaissable
mais elles restent
étrangement familières et impensables.
V
On a
beaucoup parlé
et écrit
sur le lien de l'enfant à sa mère
mais les mots
manquent
pour dire le lien de l'enfant à son crotale.
Le lien de la
réalité qui se fissure
voie royale des
Reines-Mères
soudain tout
s'interprète et se décompose
pour un oui pour un non
la perception
devient douloureuse d'intensité
et de détails
c'est la Reine-Mère
qui arrive au grand galop
forçant le passage
comme à son
habitude
pour le plaisir.
On nous voit en
adoration devant nos bourreaux
de nos coeurs
affamés n'ayant d'autre hantise
qu'embrasser la main qui nous chasse
cette main qui
nourrit et maltraite
c'est notre
ambivalence
notre déchirure.
Nous ne pouvons pas
ne pas espérer
en dépit de toute
réalité
cette mère
l'autre
celle qu'on se
raconte dans sa tête
la mère inventée
grâce à laquelle
tout devient plus facile à subir
la mère possible à
aimer.
Qui finit toujours
par revenir
enfin
bien sûr ce n'est
pas la mère inventée
mais
c'est la mère qui
ne fait plus mal
c'est quand même
pas négligeable
cette trêve
calculée
ce fascinant dosage
c'est amusant les
jouets vivants
mais c'est plus
fragile aussi
faut faire
attention
pour qu'ils durent
les casser juste ce
qu'il faut
qu'ils n'en meurent
jamais complètement
ça fait partie du
jeu
des sirènes
carnassières aux grandes dents aiguisées
pour mieux te
déchiqueter mon enfant.
On nous voit nous
accuser de tout
le justifier
refuser de quitter
nos bourreaux
croix de bois croix
de fer si je mens que j'aille en enfer
ignorant qu'on y
est né
le prenant pour
l'ordre des choses.
On aime à nous
voir et entendre comme ça
c'est ainsi qu'on
nous préfère
pendus au cordon
les pieds balançant
dans le vide
yeux écarquillés
langue boursouflée
râlant d'une
dernière érection
sans aucun plaisir
est-il encore
besoin de le préciser ?
Pieds et poings
liés dans cette ambivalence irréparable
à ce qui torture
et répare et a pouvoir de vie et de mort sur soi.
Il ne s'agit
nullement de nous prendre aux mots
de nous laisser
avec nos bourreaux
mais d'entendre
à travers ce que
nous disons ce que nous taisons
le dire du dit.
De débusquer la
mère réelle derrière la mère délirée.
Mais dans le monde
où je vis
on préfère ne
rien savoir plutôt que de savoir ça des femmes
parce dans le monde
où je vis
être une femme
c'est forcément être une mère
et la mère
attention
c'est sacré
pour ainsi dire
intouchable
la remettre en
question est de l'ordre du blasphème
alors la condamner
même quand les
faits sont avérés
très peu s'y
risquent.
le plus souvent
pour finir par distribuer des non-lieux stupéfiants
à tour de bras
des sursis
incompréhensibles
des condamnations
sans mesure avec les actes commis.
Sauf quand ça
crève les yeux à tout le monde
alors là
c'est l'unanimité
elle a droit à la
peine d'exception
celle qui confirme
la règle
la Peine pour
l'Exemple.
Le lien de l'enfant
au crotale
c'est ce lien à
une mère qui n'en est pas une mais qui est la sienne
c'est là où ça ne
cesse pas de souffrir et où c'est dû à l'autre.
C'est quand l'autre
est une plaie en soi qui ne cesse de saigner.
Parfois dire
on ne peut pas
on ne cesse pas de
mourir à cet endroit-là.
VI
Comprenant que nous
ne devions compter que sur nous
nous avons pris nos
jambes à nos cous
passant à l'acte
pour dire
la parole interdite
personne ne fugue
pour le plaisir
on fugue toujours
en désespoir de cause.
Ma première fugue
j'avais quatorze
ans
le temps d'aller à
pied jusqu'à Paris
chez une monitrice
de la colonie de vacances de l'été précédent
en qui j''avais confiance
et le temps qu'elle
appelle mes parents
pour qu'ils viennent me chercher.
pour qu'ils viennent me chercher.
Quelques heures.
Trahir une
adolescente de quatorze ans
qui vient se
réfugier chez vous
sans se poser une
seule question
uniquement affolée
à l'idée d'être hors la loi
ne pensant qu'à se
débarrasser au plus vite de toute responsabilité
moi j'appelle ça
la majorité des gens.
Lassée des fugues
j'ai demandé à
aller dans un foyer
une autre fugueuse
m'avait refilé le tuyau
le foyer de
Charenton
c'est le meilleur.
A part avoir eu une
chambre seule
je n'ai aucun
souvenir heureux de ce foyer
et c'était
réciproque
au
bout de trois mois j'ai été renvoyée
remise entre les
mains de mon bourreau jubilant
les prenant à
témoin de son calvaire
s'en pâmant.
Je pense n'avoir
strictement rien compris à ce qui m'arrivait chaque fois que c'est
arrivé
tout ce que je
savais
c'est que rien ne
pourra jamais plus être pire.
On pense être
sortie du château
on n'imagine pas
une seconde
que la rue
c'est encore
l'Empire de la Reine et son Emprise
l'étendue de son
royaume et l'ampleur de sa toute puissance.
On n'est plus au
fond des oubliettes
mais partout ce
sont encore ses terres.
partout les Bras
Armés de la Reine-Mère
chargés de faire
respecter sa Loi
et réaliser ses
Imprécations
sévissent dans les
rues.
Partout j'étais
ailleurs
là-bas où que
j'aille
flottant dans
l'espace sans forme définie
j'errais dans un
univers sans ciel ni soleil ni lune
une épaisse
désolation
un sentiment
d'absurdité
un regard tuait un
geste graciait
je devais ruser
d'intuition et de télépathie
car parler
n'existait pas
s'agissait de se
maintenir en vie
avec les moyens du
bord
Longtemps je n'ai
pas eu de corps dans ma tête
le miroir ne me
renvoyait qu'à deux yeux cernés me scrutant
perplexes.
Tout entière
recroquevillée dans ma tête
comme un embryon
dans son oeuf.
L'essentiel a
toujours été de survivre.
Mourir entre les
mains d'un autre trop pris par sa jouissance
pour pouvoir se
contrôler à temps
c'est ma peur du
noir à moi.
L'essentiel c'est
de survivre
la suite personne
ne la connaît d'avance
ce qui est certain
c'est que tant
qu'on est vivant
tout reste encore
possible
pourvu qu'on ait
fait le deuil de ce qui ne l'est plus
et de ce qui ne l'a
jamais été. .
J'ai survécu
le coeur n'a jamais
cessé de battre
même quand tout
mourait en soi
chaque fois
il a fallu se
relever
la terre ne s'est
pas arrêtée de tourner
la vie a continué
les aiguilles du
temps ont recommencé à avancer.
Je pense avoir eu
une vie prévisible et inattendue
les fées ne se
sont pas pressées autour de mon berceau
mais j'ai décidé
que j'étais née
sous une bonne étoile
j'ai décidé que
parmi les milliards
d'étoiles dans le ciel
il y en a une
qui veille
personnellement
sur moi
VII
Longtemps
je me suis enfermée en moi
comme en une tombe
et je m'y sentais
bien
c'est même là que
je me sentais le mieux.
Rien jamais ne me
manquait
que le manque du
manque.
J'étais pleinement
heureuse dans ma tombe
tant que j'ignorais
que c'était une tombe.
Une fois qu'on sait
on ne peut plus
jamais ne plus le savoir
ni même l'oublier.
Quand j'ai compris
que j'étais dans une tombe ça m'a ramené aux oubliettes du
château.
On passe sa vie à
hurler sa détresse
et personne ne
l'entend
à commencer par
soi.
Je pris conscience
de la tombe
puis de mon extrême
pauvreté affective
et tout ce qui
n'avait jamais manqué se mit à manquer.
Je pleurais sur moi
du lever au coucher
je ne m'en lassais
pas.
Je pleurais en
voyant des couples
et moi sans
personne qui me désire et qui m'aime
j'en avais honte
Je pleurais en
voyant des parents avec leurs bébés
et moi trop tard à
présent.
Ce n'était alors
pas sans nostalgie que je me rappelais la tombe et la pauvreté de
jadis
ce bon vieux temps
quand rien manquait
ni personne.
Cependant cette
nostalgie d'une mort due
je n'en étais plus
dupe
n'était que délire
d'enfant divaguant sur une mer déchaînée la déviant en tout sens
pour le plaisir de
l'observer se débattre
hurlant à la mort
sous l'assaut d'un
vent indifférent
l'éloignant
définitivement du rivage.
J'avais
jamais su quelque chose d'essentiel
qui
permet de manquer de l'autre
de ce
manque qui tout à la fois nourrit et affame
puisque le désir
n'est possible que si la rencontre est impossible.
Un plus un ne fait
qu'un plus un
pas de je sans tu
pas d'autre sans
l'être soi-même.
Autrefois
avec les femmes
c'était trouble
impossible de rien
distinguer
paralysée par
l'angoisse et emportée par l'adrénaline
ce trouble me
plongeait dans un état d'extrême réceptivité
quand tout fait
signe
devient un message
personnel à décoder
d'une intensité
inégalable
mais psychiquement
dangereux.
C'est ma fragilité
c'est en dedans
gravé on peut pas l'effacer
ça a été gravé
effacé
lors d'une absence
vraisemblablement.
La Reine rêvait
d'un monde lui obéissant au doigt et à l'oeil
persuadée que tout
irait pour le mieux
si seulement on
cessait de constamment la contrarier
d'exprimer une
différence.
Depuis toujours je
baigne dans le même et l'interdit.
Une femme jouissant
de moi jouissant d'elle
ça a déjà eu
lieu
mon corps en
témoigne
dans cette
jouissance là
ça torture et tue
sans l'ombre d'un cillement
sous les yeux
crevés des Rois de Paille impuissants
ça jouit sans
retenue.
A chacun ses
réponses aux questions qu'il se pose
ou pas
personne ne sait
tout le monde
cherche
se débattant pour
inventer du sens au néant
d'où nous venons
et retournerons.
A chaque histoire
sa part de probabilités plus ou moins probables.
Personnellement
je me suis concocté
au quotidien un confortable équilibre
que je n'échangerai
pour personne au monde
l'autre je le
rencontre autrement
accompagnée de
proches
une vraie famille
une famille
choisie.
Avec mes amis
on aime discuter
politique
autour de gourmands
et joyeux repas
de végétaliens
ayant un bon coup
de fourchette
et de coude
Nous ne trouvons
aucun plaisir à jouir de quelque façon que ce soit
de la détresse
d'autres êtres vivants
capables autant que
nous
de ressentir la
douleur et le chagrin
d'éprouver du
plaisir et de la joie
d'exprimer des
sentiments et des émotions
suffit de les
regarder vivre entre eux
et avec nous
pour s'en rendre
compte
les individus des
autres espèces
ont beaucoup à
nous apprendre
sur le vivre
ensemble.
Nous les humains
depuis l'âge des
cavernes
avec les autres
nous n'en sommes
encore qu'à une relation d'objet à objet
un jour
peut-être
nous accéderons à
la relation de sujet à sujet
ce jour-là
l'Humanité aura
atteint sa finalité et son commencement
et les poules
auront des dents.
Il
faut perdre ses illusions
mais
garder ses rêves intacts
je mets tout mon
espoir dans les générations à venir
si on leur laisse
le temps de naître
en ne faisant pas
tout sauter et en contaminant tout
avant de
disparaître
d'ici-là.
VIII
Et puis
la Reine est morte
vive la Reine.
Au retour du
cimetière
j'étais soulagée
bien que sachant
qu'une Reine-Mère ne meurt jamais
complètement
en soi
le temps n'est pas
le même
il n'a pas de durée
la Reine continue
de festoyer avec ses préférés
l'enfant de
grelotter de faim et de froid au fond des oubliettes.
en soi
le temps n'a aucune
prise.
Elle est morte
comme une reine en
son palais
elle s'est éteinte
dans les bras de
Préféré
dans une ultime
mise en scène d'une perversité époustouflante
du Grand Art
vraiment
et tout le monde a
joué son rôle à la perfection
pour tout dire
en toute modestie
je pense avoir été
la meilleure.
Je suis allée me
prosterner le jour de sa mort
des sanglots dans
la voix
des larmes plein
les yeux
toute la matinée à
son chevet à la veiller comme une fille éplorée
alors qu'elle n'a
cessé de me vouloir du mal et de m'en faire.
Je ne suis plus
jamais retournée sur sa tombe
je ne lui dois rien
non plus
elle a fait ce
qu'elle a voulu et elle l'a toujours voulu.
Ma chance
c'est de n'avoir
jamais été préférée
jamais été un
enjeu entre la Reine et le Roi.
Quand je vois ce
que sont devenus les préférés.
La Princesse déchue
Cosette
déjà dans le
ventre
elle obéissait au
doigt à l'oeil et à la voix à la Reine-Mère
foetus sage comme
une image
une grossesse et un
accouchement rien à dire
un bébé idéal
une petite fille
modèle
première de la
classe jusqu'à la première année de fac
que des louanges
a droit à tous les
sourires et toutes les faveurs
et puis
patatras
tout s'effondre
fugue à son tour
abandonne la fac
peu après les voix
perceront les profondeurs et la persécuteront
dans sa tête.
J'ai toujours
partagé avec ma soeur une chambre à la porte entrouverte
même quand ce fut
matériellement réalisable
la chambre nous
passa sous le nez
la Reine ayant
besoin d'une pièce de repassage.
Cosette a souvent
les mêmes expressions
minauderies
et timbres de voix
que la reine
c'est difficile à
préciser
je vois de mes
propres yeux la reine qui me parle
à travers ma
soeur.
Autrefois moi aussi
j'étais remplie
d'absence
dérivant au gré
des humeurs de la Reine-Mère en soi
comme si c'était
chez elle.
Préféré
lui n'a plus une once d'humanité
n'ayant d'autre but
dans l'existence
que satisfaire ses
désirs et assouvir ses besoins.
exploitant les
autres jusqu'au sordide
les manipulant
pour le plaisir
il adore ça
prendre la tête
jusqu'à ce que l'autre ne comprenne plus rien
ça l'amuse
il est comme eux
moi aussi
mais ce n'est pas
mon mode de communication aux autres.
Quant à
Ramasse-miettes
ça joue à
l'adulte
roule des épaules
jure sous serment
et tout le tralala
mais tout ce que ça
veut finalement
c'est une place à
la table royale
finalement c'est
prêt à tout pour avoir droit aux restes
lécher les
assiettes et vider les fonds de verres
en regardant
ailleurs et parlant d'autre chose
sans rien trouver à
redire.
Je suis soulagée
d'être débarrassée d'eux
et je suis triste
pour Cosette
je la laisse toute
seule là-bas
c'est elle qui a
décidé d'y retourner
elle a plus
confiance en eux qu'en moi
se sent plus en
sécurité avec eux qu'avec moi.
A l'enterrement du
roi
je n'irai pas
ni à son chevet
n'a jamais été un
père
pour moi
il a toujours
compté pour du beurre
l'époux de la
reine
un prête-nom se
contentant d'une autorité de pacotille
jamais là
revenant de l'usine
à midi
dormant
puis repartant à
l'usine vers minuit
remettant
intégralement sa paie à son épouse chaque fin de mois
indifférent à ses
filles.
Même Cosette
c'est juste la
préférence de la reine-mère pour elle
qui faisait d'elle
un enjeu pour lui.
Quelque chose s'est
réveillé en lui avec Préféré
qui a obligé la
reine à partager avec lui le fils chéri
tout en essayant
chacun
en douce
d'être le préféré
de Préféré.
en l'achetant
comme un objet dans
une vente aux enchères
celui qui paie le
plus l'emporte.
Au bout du compte
peu importe qui a
fait quoi dans un couple
pour que ça dure
c'est que chacun y
a trouvé son compte sur le dos de ses enfants.
Longtemps j'ai rêvé
de mains
ces mains n'ont pas
corps
se déplaçant sur
le bout de leurs ongles longs et affûtés
seule ou en couple
et pendant que
l'une agit l'autre tourne la tête.
IX
Finalement
vivre
s'apprend toute la
vie.
Tout à la fois on
sait et on ne sait rien.
On sait pour le
passé et le présent
mais pour le futur
personne ne peut
affirmer
rien n'est écrit
nulle part
même ce qui est
gravé en dedans
on peut récrire
dessus
sa propre histoire.
Rien n'existe que
le désir qu'il existe quelque chose
rien n'a de sens ou
tout en a un
tout
est construction de l'esprit
la vie elle-même
n'est qu'un état d'esprit.
La fameuse
bouteille à moitié pleine et à moitié vide.
Ce qui m'anime
c'est la moitié pleine
ce qui me donne
envie de vivre
c'est ce qui reste
à vivre
et comme tout
m'était interdit
tout me reste à
vivre.
Ce qui n'est plus
n'est pas
aurait pu
s'en lamenter c'est
comme lécher ses plaies
ça empêche de
cicatriser
pour finir par
gangrener tout ce qu'on vit
jusqu'à ce qu'on
en meure.
Pourtant
vivre
dans ce monde
d'atrocités et de détresses
partout
tout le temps
faut vraiment le
vouloir
pour le pouvoir.
C'est un mystère
cette volonté de
vivre
qui oblige à se
relever
chaque fois
reprendre en marche
le train
de la vie qui
continue
imperturbable.
Je suis la première
étonnée de cette détermination
dont le seul but
est de vivre
je ne comprends pas
comment on peut
avoir envie de rester dans ce monde-là
ça me dépasse..
Et une fois morte
quand plus personne
ne se souviendra de moi
ce sera comme si je
n'avais jamais existé nulle part pour personne
mais ça vaut pour
tout le monde
à plus ou moins
longue échéance
le Temps Qui Passe
engloutit par pans
entiers la mémoire collective
plongeant dans
l'oubli
des noms pourtant
illustres en leurs temps
qui basculent
dans la fosse
commune de la majorité silencieuse des anonymes
poussés
par la Vie Qui
Continue.
Il y a en soi
quelqu'un
qui veut absolument
vivre
on se demande bien
pourquoi
mais c'est comme ça
on n'y peut rien
chaque matin on se
réveille
alors
quitte à se
réveiller
autant se réveiller
contente d'être en vie et de pouvoir encore
salivant à l'idée
de la moitié de la bouteille
qu'il reste à
boire.
Quitte à vivre
à défaut d'être
heureux
on peut tenter
d'être satisfait de sa vie
en la choisissant
le plus possible
apprenant à
recentrer les priorités sur l'être
plutôt que sur
l'avoir
et en gardant
intacte en son dedans envers et contre tout
sa capacité à
rêver le monde
à désirer le
changer
à se sentir
solidaires les uns des autres
l'empathie fait
l'union et l'union fait la force
ne jamais renoncer
à l'utopie
d'un autre monde
possible
peu importe quand
un jour peut-être
l'effusion de sang
et l'exploitation de l'autre
quelle que soit
l'espèce
deviendront
insupportables et inadmissibles aux humains.
C'est ce monde où
il fera bon naître
qui me console de
celui dans lequel je suis née
c'est comme ça que
je me retiens
jusqu'au lendemain.
LA FEMME NARSÈS.
Oui, explique ! Je ne saisis jamais bien vite. Je sens évidemment
qu'il se passe quelque chose, mais je me rends mal compte. Comment
cela s'appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd'hui, et
que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l'air pourtant se
respire, et qu'on a tout perdu, que la ville brûle, que les
innocents s'entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un
coin du jour qui se lève ?
ÉLECTRE. Demande au mendiant. Il le sait.
LE MENDIANT. Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s'appelle l'aurore.
ÉLECTRE. Demande au mendiant. Il le sait.
LE MENDIANT. Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s'appelle l'aurore.
Je vous remercie de ce partage. Le texte est magnifique et bouleversant en tout sens.
RépondreSupprimermerci, votre retour est également pour moi magnifique et bouleversant
SupprimerUn texte magnifique dans lequel on se noie parmi les émotions.. Je ne trouve pas les mots... Désolée
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